Cabotinages
Il était une fois…
Non, je ne vais pas vous raconter des histoires. Certains d’entre vous auraient du mal à croire qu’un vieux chien pourrait vous en conter. Ils auraient raison si j’étais un chien extraordinaire, et je les comprendrais, mais voilà Il me faut vous dire que je ne suis qu’un cabot tout ordinaire.
Volga, ma mère, pourtant pointer de bonne famille, n’avait jamais accepté les hommages des hobereaux de sa race. Elle finit par s’acoquiner avec un boxer de ses voisins nommé Nadir.
Ce tas de muscles à la détente exceptionnelle, réussit néanmoins là où tous les autres porteurs de pedigree avaient échoué et je naquis donc avec ma sœur Dora.
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Kems et Dora |
En souvenir de la coupe du monde en Argentine ; On me nomma Kems, diminutif de Kempes, étoile du ballon rond argentin de l’époque
Quoique le football ne m’ait jamais attiré, j’adorais jouer avec les enfants de la maison et plus d’une fois je surpris mon monde avec la détente héritée de mon père .
Je réservais cependant toute ma tendresse à l’aînée de la famille Maud qui adorait m’emmener promener.
Mais laissons là la nostalgie…
Du chef lieu de canton, on déménagea pour la campagne deux ans plus tard, pour y vivre une paisible vie de chien.
Mon maître se piquait de chasse, esthète à ses heures, il avait un goût prononcé pour la bécasse, ridicule oiseau au long bec qui avait parfois l’insolence de vous voler au-dessus de la tête, je le suivais volontiers dans son loisir favori dès ma prime jeunesse d’autant plus que ma mère excellait à découvrir ces oiseaux à plumes.
Il pestait souvent lorsque j’accourais à toute vitesse à l’arrêt de ma mère. Il m’est même arrivé de saisir une de ces mordorées à l’envol au-dessus d’un roncier au risque de me faire truffer de petits plombs. Imaginez ma fierté mais aussi la colère de mon maître.

Ma préférence allait au poil ; je me transformais en authentique chien courant aux moindres effluves de lapins, renards ou lièvres, certains qui me connaissent vous raconteront bien mieux que moi comment je parvenais à les capturer en plein milieu d’un champ de maïs ou de betteraves sans que mon maître n’ait à tirer la moindre cartouche. J’ajouterai que des mauvaises langues sont allées jusqu’à dire qu’il lui serait arrivé d’en tirer pour ne pas être gêné à la rencontre d’autres nemrods.
Les ans passant, ma volonté de chasser s’émoussa, Ma mère ne se remit jamais d’une chasse à la bécasse et un setter presque pure race la remplaça, dignité de mâle ou tout simplement jalousie, je pris alors définitivement ma retraite, à l’âge de douze ans.
Depuis, atteint d’une surdité croissante, j’écoute de moins en moins ce qui se dit autour de moi, de plus une cataracte est venu me rendre l’environnement encore moins perceptible ; Ces cécités ne m’empêchent pas de faire deux fois par jour le tour du hameau ; « promenade de petit vieux » diront certains. On me laisse volontiers faire ces sorties pour ne pas me contrarier, je peux vérifier s’il y a des changements dans les environs et j’en profite pour me faire gâter chez les voisins, offrant des frayeurs à chaque fois que l’on me donne un os.
Il m’arrive parfois de rêver de certaines parties de campagne et de mettre à aboyer dans mon panier, mais il faut quand même se faire une raison « On ne peut être et avoir été ».
Comme la plupart de mes congénères, je ne supporte que difficilement l’orage et c’est là que commence en réalité mon histoire.
Ce mardi là, vers quatre heures de l’après midi, la chaleur lourde devint étouffante, c’était l’heure de la marée montante et tous sentaient l’orage se préparer ; j’en ai vu des orages, direz vous en seize années d’existence, mais des comme celui-la jamais ! Vent, éclairs, coups de tonnerre, tout se déchaîna en quelques instants, une avalanche de grêlons de la taille d’un œuf de pigeon augmenta le vacarme.
Ces éléments en folie me surprirent sur le chemin de ma promenade habituelle ; Pris de panique, je décidai de faire demi-tour pour me mettre à l’abri, mais cette route qui devait me conduire à la maison ne me conduisit nulle part ; ma vue trop basse, et mon ouïe trop faible ne m’étaient plus d’aucun secours.
L’air, chargé d’électricité et de poussière chaude ne m’apportait plus quelque senteur que ce soit ; Je pris la décision de continuer, sûr de rencontrer quelqu’un de connaissance.
Le bitume n’en finissait pas, cette route décidément ne conduisait nulle part, de plus un nombre de plus en plus grand de véhicules circulaient dans les deux sens m’éclaboussant sans vergogne. Sûr de ne pas être sur la bonne route je décidai de rebrousser chemin. Le jour commençait à décroître lorsque enfin j’arrivai à proximité d’une agglomération. Là, pas une âme qui veuille aider un vieux chien ne se manifesta, les habitants s’étaient tous mis à l’abri de la tourmente. Je sentais que tout ce qui se passait à l’extérieur de leurs maisons, les indifférait, une seule solution ; continuer…Quelle galère !
Le jour baissait de plus en plus, j’empruntais la berne pour me protéger de la furie des bolides aux moteurs hurlants qui traçaient de leurs phares la nuit maintenant tombée.
Je n’avais jamais autant senti le goudron les vapeurs de gasoil et d’essence, l’huile brûlée et le caoutchouc, aucune odeur familière, pas la moindre trace d’un congénère et chaque fois que je songeai à faire demi-tour, un klaxon fracassant m’en dissuada sur-le-champ. Le lendemain matin j’étais déjà bien loin et je commençais à mesurer l’inquiétude des miens mais au lever du jour la foule, devenant de plus en plus dense, m’empêcha de sombrer plus longtemps dans la nostalgie. J’étais arrivé dans la Cité des Fleurs
Mes allures d’évadé d’une maison de retraite ne tardèrent pas à retenir l’attention mais c’est surtout la lenteur de mon errance qui suscita la compassion. D’autres, moins charitables, n’attendaient que le moment fatidique où une voiture s’arrêterait trop tard. Je parvins à gagner la rue de la Constitution à leur grand dam. Mais là je ne savais pas ce qui m’attendait.
Dans cette ville bien policée où les conducteurs laissent passer les piétons-rois il n’y a guère de place pour un chien âgé, pelé et déjà un peu boiteux car les kilomètres s’étaient accumulés et j’avais les pattes lourdes et le gosier sec. Une âme charitable, craignant de me voir créer un accident sans doute, décida de s’arrêter et s’avança vers moi je la laissai me caresser et l’instant suivant je me retrouvai dans un coffre de voiture : On ne supporte pas les embouteillages dans la Cité des Fleurs.
Quel soulagement ! En fait ma tranquillité ne dura que peu de temps car le conducteur avait pris la direction du commissariat ! Cela ne semble pas être la passe temps favori de la police urbaine que de s’occuper de la rubrique des chiens pas encore écrasés. On ordonna séance tenante mon transfert vers la caserne des pompiers ; on me passa la corde au cou et c’est dans le panier à salade et sous bonne escorte que je redescendis la Constitution. Les sapeurs-pompiers pas plus que le commissaire ne surent que faire d’un chien aussi vieux que moi, ils me donnèrent cependant un peu d’eau que je lapai avec délectation et m’enfermèrent dans un petit local adjacent sans doute en attendant le moyen de se débarrasser de moi.
Je résolus leur problème car à peine leur dos tourné, je m’éclipsai sans qu’ils ne fassent quelque effort que ce soit pour m’en empêcher Je repris le bitume, avec prudence cette fois, après avoir traversé sans encombres la nationale je repris ma longue marche.
La nuit survint de nouveau, Je quittai sans regret cette ville qui n’était pas faite pour un chien de tant de races
Au lever du jour je réalisai que la route était de plus en plus importante et comportait deux voies ; j’étais sur l’autoroute. Je vous le promets, ce genre de bitume est parfaitement inutile ; il ne mène nulle part et on n’y rencontre aucune maison.
Au bout de moult kilomètres, les pattes usées, le ventre vide, le désespoir commença à me gagner ; je décidai de faire demi-tour puisque cette route ne menait nulle part, je revins sur mes pas mais ne pus retrouver la sortie ; je ne connaissais rien des voies à grande circulation. Le trafic redevint intense et les coups de klaxons se succédaient, malgré mon infirmité, je crus comprendre que tous les conducteurs ne sont pas de la plus grande politesse. L’affolement me gagnait et la pensée d’en finir avec cet enfer de béton et de bitume me frôla. Une voiture venait de s’arrêter dans un crissement de pneus et je n’eus comme réflexe que de me coucher attendant le choc fatal. Des pas s’approchèrent, je m’attendais à une nouvelle insulte, mais oh ! Surprise ! On m’appelait sans animosité ; Je me relevai avec reconnaissance et dans la minute qui suivit je me retrouvai à l’arrière d’une voiture avec une main caressante sur le dos La crainte s’était envolée, j’avais l’habitude de ces véhicules ; mon maître m’emmenait à la chasse dans un semblable
Le trajet me parut assez long, plus de trois heures, quatre peut-être ou plus encore, je ne saurais vous dire pour arriver à destination ; une caresse m’invita à descendre ;
« -Viens mon grand, n’ait pas peur ! » Plus que les mots c’était le ton qui me rassurait. Je ne savais où j’étais mais j’étais bien ; Moi qui n’étais jamais admis à l’étage je dus gravir l’escalier, on mit mon appréhension sur le compte de l’usure de mes pattes ce qui n’était pas totalement faux d’ailleurs Il me fallut subir bien d’autres gentillesses ; On était à mes petits soins je ne vous conterai pas le bain avec la mousse qui débordait mais il y avait toujours une main pour me rassurer. On libéra un bout d’un canapé recouvert d’une couverture, interdit suprême chez moi. Epuisé mais propre le sommeil me gagna après un petit repas servi à la main.
Le lendemain matin, de bonne heure on m’appela et bien que complètement ankylosé je suivis docilement et repris l’escalier, la promenade fut courte, simple satisfaction de mes besoins au bout d’un jardinet Je ne vous conterai pas la visite chez la gentille vétérinaire ; Une jeune dame qui sentait bon, elle s’enquit gratis de l’état de mes vielles pattes elle en profita pour faire un diagnostic de l’ensemble et dût se rendre à l’évidence : à part mon grand âge et mes pattes usées j’allais fort bien. A la nouvelle je me sentis en bien meilleure santé et je vis mes hôtes rassurés Je me risquai à quémander une caresse et la main de ma nouvelle maîtresse se posa sur mon front aussitôt.
Sans doute émus par ma gentillesse, « je fus cabot de mon temps », tous les membres de la famille décidèrent, vu les circonstances, de me garder, je n’étais pourtant plus en âge d’adoption Ma jeune et jolie maîtresse me rebaptisa Bango Je n’y vis aucun inconvénient. Le gîte et le couvert étaient fort agréables et le bitume… J’y avais suffisamment goûté ; … Merci ! …
Je décidai donc de me reposer en savourant le calme recouvré d’un nouveau foyer. Montgeron dans la banlieue parisienne ca ne vaut pas Lolif mais qu’importe ! Et puis, les gens qui aiment les chiens ne restent pas toujours à la ville, ils doivent revenir à la campagne un jour ou l’autre.
Bien m’en prit. Dès le surlendemain ils reprirent la route en sens inverse. Cependant l’alerte avait été donnée ; Ma tête avait été mise à prix dans tous les commerces de l’Avranchin, mon portrait était diffusé, les ondes répétaient sans cesse des avis de recherches. Les vétérinaires, les commissaires, les sapeurs pompiers et les maires avaient été questionnés. Le moindre chien errant etait arrêté, suspecté, on lui demandait même son tatouage, son pedigree. On interrogeait tout le monde, on allait même voir les moribonds dans les fossés avant de les achever.
Un article parut dans la presse locale, le jeudi suivant. Il tomba sous l’œil avisé du tonton de ma bienfaitrice qui signala aussitôt que sa nièce avait recueilli un chien répondant bien à mon signalement. A peine de retour à la campagne, on avait retrouvé ma trace. Chez mon Maître on n’y croyait plus C’est vrai que de nombreux appels s’étaient succédé sans succès. Il prit pourtant aussitôt le chemin de Bacilly, le cœur battant.
C’est tout ému qu’il frappa à la porte, sans que l’on me dise quoi que soit je m’étais levé, j’étais sûr de l’avoir retrouvé lorsque l’on ouvrit, j’étais là à l’attendre dans l’admiration générale…
Toute la tribu avait suivi ; certains essayaient même de dissimuler quelques larmes.
Chacun raconta mon histoire invraisemblable.
Je crus percevoir un petit pincement au cœur chez mes bienfaiteurs mais enfin il ne faut pas exagérer.
Tel un héros, on encadra mon portrait et par la suite on finit par écrire mon histoire.
FIN
2 commentaires:
Belle prose pour une jolie histoire!
Merci Ludo tu vois on peut pas être complètement mauvais
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