mardi 13 août 2013

Jean Jaures

Jean Jaurès:

 Les libertés du personnel enseignant 


 13 AOÛT 2013 | PAR CATHERINE CHABRUN

 Le 31 juillet 1914, Jean Jaurès est assassiné. Une année pour relire et mettre en lumière ce qu’il a dit… Assemblée nationale, extrait du discours de Jean Jaurès à la séance du 21 juin 1894. Pour avoir pris part à des manifestations socialistes, plusieurs professeurs et instituteurs sont frappés de mesures disciplinaires très sévères par Eugène Spuller, ministre de l'instruction publique du cabinet Casimir-Perier. JJaures, le liseur JJaures, le liseur Thierry-Cazes demande, le 17 mai, à interpeller le ministre de l'instruction publique sur son attitude à l'égard des membres de l'enseignement public.
 La discussion de cette interpellation est fixée au 24 mai, mais le 22, à la suite du rejet par la Chambre de l'ordre du jour pur et simple comme sanction à l'interpellation relative au refus opposé aux agents des chemins de fer de les laisser assister au congrès national de la fédération de leurs syndicats, le cabinet présidé par Casimir-Perier est renversé. Il est remplacé, le 30 mai, par le cabinet Charles Dupuy. Et le 2 juin, Casimir-Perier est élu président de la Chambre, en remplacement de Charles Dupuy, devenu président du conseil, ministre de l'intérieur. Jaurès intervient après Thierry-Cazes et Odilon Lannelongue : « M. Lannelongue a paru creuser entre les trois ordres d'enseignement, en ce qui touche la liberté politique des maîtres, leur indépendance de conscience, un abîme que pour notre part nous n'acceptons pas. Pour les instituteurs du peuple, la neutralité obligatoire, le silence obligatoire, pas d'opinion politique, pas d'expression publique de l'opinion politique, pas de liberté pour eux : la consigne, et rien que la consigne. Pour les professeurs de l'enseignement secondaire, une sorte de liberté tempérée et mitigée, et pour cette haute aristocratie de l'enseignement supérieur dont M. Lannelongue est une des gloires... une liberté absolue. En bas, à l'usage du peuple, à l'usage de ceux qui travaillent tous les jours, une sorte d'automatisme, de mécanisme réglé par le préfet dans chaque chef-lieu de département. Au milieu, dans l'enseignement secondaire, une sorte d'organisation mixte, qui n'est ni le mécanisme ni la liberté. Et en haut, pour l'élite des classes dirigeantes, ce nouveau privilège : la liberté de penser ! Voilà ce que pour notre part nous n'admettons pas, et en ne l'acceptant pas, en le repoussant, en le répudiant, c'est nous - personne ne pourra le contester - qui restons dans l'esprit de la Révolution française. La Révolution française, par ces trois mots d'enseignement primaire, d'enseignement secondaire et d'enseignement supérieur indiquait une série, mais non une hiérarchie. C'était d'un bout à l'autre, depuis l'école de hameau jusqu'à l'institut central, jusqu'aux immenses laboratoires d'où sortent les découvertes nouvelles, un même enseignement qui devait conduire par degrés tous les esprits de l'éducation élémentaire à la part d'éducation supérieure qui peut revenir à chaque citoyen. Voilà quel était le programme d'enseignement, la conception de la Révolution française ; c'était un tout solidaire dont les trois ordres d'enseignement sont des parties liées, mais non pas cette sorte de superposition de la liberté en haut et de la servitude ou de la domestication en bas. Une autre idée m'a surpris, j'ose dire m'a troublé, dans le discours de notre éminent collègue. Il a dit - et j'examinerai dans un instant le sens et la portée de ces paroles - il a dit : A l'école, pour les instituteurs, pour l'enseignement primaire, il faut une neutralité politique absolue. Je me permets de faire observer à l'honorable M. Lannelongue que par cette formule il est en contradiction absolue avec tous ceux qui dans ce pays, depuis Jules Ferry, ont organisé l'enseignement laïque et républicain. Précisément - et je prie ceux qui douteraient de l'exactitude de mes paroles de se reporter aux débats officiels - au Sénat, on demandait à M. Jules Ferry si la neutralité existait dans l'école, et M. Jules Ferry répondait à M. Buffet ces paroles, qui sont restées dans mon esprit : « La neutralité religieuse, oui, mais pas la neutralité politique. L'école de la République doit enseigner la République. » En fait, à moins que vous ne cherchiez à déserter l'esprit laïque et républicain, que sont donc les programmes de l'enseignement laïque dans nos écoles primaires ? Sont-ce des programmes d'effacement, d'abdication, de neutralité dégradée, humiliée ? Non, c'est l'affirmation du droit politique de tous les hommes sous la forme de la République ; c'est l'affirmation du droit égal pour toutes les consciences de résoudre par la seule raison tous les problèmes de l'univers. Et puis, il ne s'agissait pas seulement dans notre tradition républicaine de l'affirmation de la doctrine et de l'idée républicaines, de l'esprit de liberté et de justice par les maîtres du peuple. Est-ce que ce ne sont pas vos ministres qui ont dit aux instituteurs : « Vous ne devez pas vous enfermer dans l'école, et la doctrine de liberté que vous prêchez dans l'école, vous devez la prêcher au dehors. » Est-ce qu'il y a quatre, en 1889, lorsque la liberté républicaine paraissait menacée d'une éclipse, lorsqu'il y avait une sorte d'entraînement qui paraissait universel vers une espèce de régime nouveau de réaction césarienne, il ne s'est pas trouvé un ministre de l'instruction publique, M. Fallières, qui a écrit à tous les instituteurs de France, dans une circulaire mémorable : « Vous êtes des instituteurs de la liberté, et la liberté que vous enseignez à l'école, vous devez la répandre au dehors. » Ce sont vos ministres de l'instruction publique, c'est votre prédécesseur et ami, monsieur le ministre ; qui a ainsi jeté tous les instituteurs de France dans le combat pour la liberté politique, pour la liberté républicaine. Et si parmi ces instituteurs que le ministre de l'instruction publique conduisait à cette époque à la défense de la liberté menacée, il en est qui se sont dit : Oui, c'est vrai, le ministre a raison, il est de mon devoir de servir partout la République, et je la comprends sous la forme de la République sociale, c'est vous, monsieur le ministre, qui lui avez ouvert la porte : vous n'avez plus le droit de le frapper ! Dès lors, il ne reste plus du discours de M. Lannelongue que deux idées dont très rapidement je dis un mot. Il a parlé - oh ! je n'essayerai pas d'engager à cette tribune une discussion avec notre honorable collègue, ne le craignez pas, j'ai des raisons trop nombreuses de ne pas l'essayer, - il a parlé de l'idée de l'évolution opposée à la doctrine socialiste. Je lJe le répète, je ne veux pas discuter, mais je l'arrête ici, et je lui dis : Vous voyez bien qu'il n'est pas possible de dégager l'enseignement, quel qu'il soit, des préoccupations sociales et des questions sociales. Il n'y a plus aujourd'hui d'étude des sciences naturelles sans l'idée de l'évolution, et vous reconnaissez vous-même que de l'interprétation que l'on donne à l'idée d'évolution dans les sciences de la nature dépend l'orientation que l'on suit dans la solution des questions sociales. C'est vous qui affirmez qu'il n'est pas possible d'enseigner même les éléments de l'histoire naturelle, de la géologie, de la minéralogie à des enfants, sans poser implicitement ce problème social que vous voudriez en vain écarter d'eux. Et puis l'honorable M. Lannelongue nous a dit qu'avant tout, ce qu'on devait réclamer de l'enseignement secondaire, de l'enseignement dans nos lycées, c'est qu'il ne fût pas un enseignement de routine, un enseignement de passivité ; c'est qu'il éveillât dans l'esprit et la conscience de tous les jeunes gens qui passent dans nos lycées l'esprit d'initiative. Mais quoique, ici encore, M. Lannelongue ait conclu contre nous, comment donc les maîtres pourraient-ils donner ce qu'ils n'auraient pas eux-mêmes, et comment pourraient-ils éveiller dans la conscience des élèves l'initiative que vous auriez tuée en eux ? Ah ! non, lorsque vous les aurez ainsi soumis à votre discipline et à vos formulaires, lorsque vous aurez ainsi tué en eux la liberté, ils ne pourront pas l'apprendre aux autres. Vous aurez beau faire ; c'est en vain que vous ordonnerez à vos âmes serviles de propager la liberté, à des flambeaux éteints de communiquer la lumière et à des morts de donner la vie ! Ne tuez pas ! Pourquoi et en vertu de quel droit retirez-vous aux membres de l'enseignement public le droit d'adresser des pétitions au Parlement ? En vertu de quel droit rendez-vous impossible à certains professeurs l'exercice du mandat politique dont ils sont régulièrement investis ? Et enfin, quelles sont vos intentions précises à l'égard des maîtres qui d'abord dans leur clase, dans leur enseignement, à propos d'articles précis des programmes rédigés par vous, font adhésion aux doctrines socialistes ? Quelles sont vos intentions précises à l'égard de ceux qui au dehors, se mêlent à ce qu'on appelle le mouvement social ? Voilà les trois questions très claires que je voudrais poser à M. le ministre de l'instruction publique, en les justifiant très brièvement. […] Pendant le 16 Mai, alors qu'on déplaçait beaucoup d'instituteurs, ces déplacements d'instituteurs apparaissaient alors comme une chose grave à ces républicains du centre qui tout à l'heure ricanaient d'une pareille mesure comme d'une chose dérisoire. Ils disaient : On déplace un petit professeur, et il proteste ? Mais de quoi donc s'avise-t-il ? Il doit se taire ! Eh bien, non ! Il n'a qu'à suivre les leçons qu'on lui a données depuis vingt ans ! Au 16 Mai, vous avez été assez heureux d'avoir les instituteurs avec vous, et depuis, dans toutes vos campagnes contre l'influence des curés, voyons, un peu de franchise, n'avez-vous pas eu besoin des instituteurs ? Oh ! c'est de leur pleine volonté et dans leur entière liberté qu'ils ont agi. Je ne demande qu'une chose, c'est qu'on les laisse aller leur chemin, qu'on les laisse servir la République de tout leur coeur, en liberté et comme ils veulent la servir ; pas d'oppression, parce qu'ils ont le droit, après tout, de n'avoir pas la même formule de la République que les ministres qui passent ; s'ils laissent tomber de leur conscience l'aveu d'une préférence pour une formule de la République autre que la vôtre, ne les humiliez pas, ne les frappez pas, au nom même de la République, car vous aurez peut-être besoin un jour de retrouver en eux des défenseurs indomptés.»

 Discours intégral : http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/jaures/discours/libertes-personnel-enseignant_21061894.asp

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