La politique, en trois maux
Moi, ici, immédiatement. Trois mots – trois maux – qui résument le péril qui menace notre système. Moi d’abord, et tant pis pour l’intérêt général. Ici d’abord, et tant pis pour celui qui n’est pas d’ici. Tout maintenant, et tant pis pour l’avenir de nos enfants. L’homme est ainsi fait : il pense d’abord à lui, à son groupe, à son lieu, au moment qu’il vit. Il privilégie le point de vue d’où il parle, se fichant trop souvent des solidarités, de l’avenir de la planète et des injustices fauteuses de violence. Des injonctions contradictoires L’homme est ethno-centré, et en plus il s’est inventé des technologies – le TGV, l’avion et le numérique – qui rétrécissent le temps et l’espace, le caressent dans le sens de son penchant, en lui donnant accès à tout, tout de suite, où qu’il se trouve. Rendant la politique forcément décevante. La politique, c’est tout le contraire. Ce devrait. Elle est l’art de créer les conditions d’un développement partagé, de construire des solidarités territoriales, de travailler pour le long terme. L’art de transformer 45 millions d’avis instantanés, contradictoires et péremptoires, en un projet de société acceptable. La politique contrariera toujours nos penchants à dire « moi, ici, immédiatement ». Destinée à trouver le compromis entre le souhaitable et le possible, elle échoue à concilier le souhaité et l’impossible. À moins que, pour se sauver, c’est-à-dire pour gagner les élections, elle n’accompagne cet ethnocentrisme, ce qui serait le pire des scénarios. Car c’est ce « moi d’abord », moi, mes intérêts, ma voiture, mes impôts, mon confort qui rendent si difficiles les solidarités, les aides au développement pour désamorcer les migrations et le combat contre le réchauffement climatique. C’est cet « ici d’abord » qui sape les solidarités entre pays riches et pauvres, entre l’Ile-de-France, les métropoles et les périphéries urbaines et rurales. Entre les communes désargentées et celles à fort potentiel fiscal. Et qui, par exemple, conduit, faute d’une réponse globale, à s’offrir de l’air respirable à Paris au prix d’une thrombose au-delà du périphérique. C’est ce « tout, tout de suite » qui prive la politique du temps long dont elle a besoin. Ce temps long qui offre une prise inespérée à toutes les contestations, pressions et pétitions, qu’elles viennent d’en bas ou d’en haut. La crise autour de Nicolas Hulot est le dernier avatar du conflit entre ces injonctions contradictoires. Une conjonction infernale Égoïsme, nationalisme et court-termisme rendent la politique schizophrénique. Entre les attentes individuelles et le bien commun, entre l’attractivité urbaine et le désert territorial, entre les pressions de l’instant et les nécessités du long terme, l’élu s’épuise en contorsions qui sont vécues comme autant de trahisons. Fait nouveau : cette relative impuissance du politique est renforcée par un brouillage du médiatique en continu et de réseaux asociaux sans foi ni loi. Ensemble, ils forment une conjonction infernale, inédite dans l’Histoire et très éprouvante pour la démocratie. Il est urgent, que l’on soit élu ou électeur, de combattre ces trois maux. Avec les élections européennes, une première occasion majeure nous est offerte de ne pas penser qu’à soi, qu’à ici, qu’à l’immédiat. » |
« Le verbe n’est qu’onanisme. L’Eros hélas se fane, Et l’éloquence profane les délires de l’onirisme »
mercredi 12 septembre 2018
La politique, en trois maux
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